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Go Capital : "Il y a eu des excès sur les valorisations des entreprises et l’usage des fonds"
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Bertrand Distinguin président associé de Go Capital "Il y a eu des excès sur les valorisations des entreprises et l’usage des fonds"

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Depuis sa création en 2003, Go Capital (26 salariés, 8 bureaux en France, 5 M€ de CA en 2022) se positionne comme un leader de l’investissement technologique du Grand Ouest en capital amorçage et capital-risque. La société de gestion rennaise gère 350 millions d’euros d’actifs et compte plus de 100 entreprises en portefeuille. Dans le contexte inflationniste du moment, la société joue la prudence dans ses prises de participation et s’intéresse de plus en plus aux critères extra-financiers des entreprises.

Bertrand Distinguin, président associé de Go Capital — Photo : Go Capital

Quel est le profil d’investisseur de Go Capital ?

Nous avons à 90 % en portefeuille des start-up du Grand Ouest, c’est-à-dire de Bretagne, des Pays de la Loire, du Centre et de Normandie. Nos investissements se font en capital amorçage ou en capital-risque, principalement. Ce sont des entreprises qui font de 0 à 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, pour les plus grosses. Nous avons différents véhicules d’investissement, mais globalement ce sont des FPCI, des fonds professionnels de capital-investissement qui ont chacun des règlements et des cibles d’investissement spécifiques. Nous restons généralement 6 à 7 ans dans les entreprises dans lesquels nous investissons. L’effet levier de Go Capital est important. Quand on met 1 euro dans un projet, c’est quasiment 3 ou 4 euros que l’entreprise va pouvoir récupérer.


Dans cette période d’inflation, la chasse aux fonds se complique-t-elle ?

Il y a toujours beaucoup de fonds, c’est un élément qui va continuer de soutenir le marché, néanmoins il y a de la prudence. La cristallisation d’un bloc d’investisseurs prend plus de temps qu’avant, ce qui retarde les opérations. L’inflation, les taux d’intérêt qui montent, la crise en Europe et en Asie entraînent à la fois des prévisions à la baisse des sociétés, un coût de l’argent plus élevé et une prudence aussi des banques, qui resserrent leurs critères. Ça veut dire que l’accès à l’argent est moins facile et que les marchés sont moins faciles. Il y a aussi une forme d’assainissement. Il y a eu des excès par le passé sur les valorisations des entreprises et sur l’usage des fonds parce que l’argent n’était pas cher, en dette comme en equity (apport en capitaux propres, NDLR).

"Être davantage sélectifs."

Pouvez-vous préciser votre propos ?

Beaucoup de sociétés viennent nous voir en nous disant "je veux lever 10 millions". Mais quand on regarde leur plan de financement, il n’en faudrait que 5. Les entreprises devraient se montrer plus prudentes dans leurs levées de fonds, et les investisseurs plus regardants sur les valeurs réelles des entreprises. Quand un fonds investit dans une structure, il se demande toujours comment il pourra revendre sa participation quelques années plus tard. Or, le marché de la transaction (M & A) se tend lui aussi. Il y a moins de cash, les grosses entreprises qui se portent acquéreurs sur des cibles innovantes vont y regarder à deux fois. Cela nous amène à être davantage sélectifs sur nos projets.


Connaissez-vous des revers de fortune dans vos portefeuilles, sinon êtes-vous inquiet pour un certain type d’entreprises ?

Il y a quelques domaines d’activité dans lesquels ça se tend. Dans le secteur industriel, et de l’alimentation notamment, les marges se resserrent. Mais il y a assez peu d’impacts dans les filières de la santé ou du logiciel. La cybersécurité, elle, est un domaine toujours porteur. Nous, nous sommes dans une phase d’investissement assez risquée, assez tôt, mais on investit aussi sur l’innovation qui est un moyen de pallier la crise, en allant vers des entreprises qui ont un avantage concurrentiel. En amorçage, le niveau de risque est fort : nous estimons que 15 % des sociétés en portefeuille seront en défaillance. Mais ce risque est compensé par un objectif de performance élevé en cas de succès. En capital-risque, le niveau de défaillance est généralement plus faible.

"On se trompe rarement sur le besoin, on se trompe souvent sur le moment où ça va décoller."

Quels éléments regardez-vous dans la sélection de vos dossiers ?

On regarde beaucoup l’équipe. Pour qu’un projet marche, il faut une bonne "techno", de la réussite, un bon contexte mais aussi et surtout une équipe. C’est dit et redit, mais c’est une vérité. Un autre sujet que l’on regarde c’est le "time to market", à savoir est-ce que le marché est mûr sur le produit sur lequel j’investis.

Le directoire de Go Capital. De g. à d., Bertrand Distinguin (président), Jérôme Guéret (DG) et Aude Kermarrec (secrétaire générale) — Photo : Go Capital

Nous faisons beaucoup d’amorçages, donc nous sommes toujours obligés de nous projeter sur le besoin de marché. On se trompe rarement sur le besoin, on se trompe souvent sur le moment où ça va décoller. Enfin, nous regardons aussi la nature des co-investisseurs pour apprécier notre quote-part sur les entreprises dans lesquelles nous investissons. Le fait d’avoir d’autres investisseurs qui ont les poches profondes (type Bpifrance, NDLR) nous rassure sur le risque financier de la société. Quand il s’agit de personnes physiques dans le tour de table, il y a plus d’incertitudes.

"On a toujours de l’argent disponible."

Les impacts extra-financiers des entreprises rentrent-ils aussi en ligne de compte dans vos appréciations ?

Oui, et ça va s’accentuer. Il y a 4 ans, pour donner du sens à notre mission d’investisseur, nous avons souhaité orienter nos investissements sur le côté impact et environnemental, estimant que Go Capital pouvait avoir une réelle contribution sur les trajectoires des sociétés dans lesquelles il investit. Nous avons d’abord initié cette démarche dans notre quotidien d’investisseur en élaborant des notes internes, des tableaux de bord spécifiques, des audits… En début d’année, nous avons fait un pas supplémentaire en lançant le fonds Impact Océan Capital (avec un cap d’abondement à 70 M€, NDLR). C’est un fond de type article 9 qui fixe des engagements formels avec des critères de sélection extra-financiers. Cela se traduit notamment par la mise en œuvre d’un comité spécifique d’experts qui émet un avis et des recommandations uniquement sur les aspects liés aux critères d’impact. Dans les années à venir on souhaite avoir une migration de nos fonds sur des fonds à impact de manière majoritaire.

Go Capital vient de fêter ses 20 ans. Comment voyez-vous votre développement dans les années à venir ?

Même si nous avons quelques outils de dimension nationale, nous souhaitons continuer de rayonner dans le Grand Ouest, en restant proches des entreprises locales. Autrement, nous souhaitons continuer d’investir sur l’innovation et l’impact. L’enjeu que nous avons pour une société comme Go Capital, c’est aussi la taille des fonds que l’on a en gestion. Nous avons des objectifs de grandir, sans changer les valeurs de l’entreprise.

En termes de performances, nous devrions faire une très bonne année en 2023 sur les montants déployés et le nombre d’investissements dans les entreprises innovantes. La crise que l’on traverse ne nous inquiète pas. On a toujours de l’argent disponible pour les entrepreneurs innovants du territoire.

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