Au Cannes Yachting Festival, le plus important rendez-vous à flot d’Europe qui vient de se clôturer, Victorien Erussard est venu sans Energy Observer, le navire laboratoire auquel il se consacre depuis 2015. Il devait le rejoindre quelques jours plus tard en Namibie. L’ancien skipper et officier de marine marchande avait répondu à l’invitation de la Caisse d’Épargne (le groupe BPCE est un de ses mécènes) pour parler de la difficile transition énergétique dans le milieu qui est le sien, ainsi que de ses "rêves de décarbonation."
Energy Observer navigue exclusivement grâce à un mix d’énergies renouvelables : photovoltaïque, éolien grâce à ses ailes rigides automatisées, et hydrogène. "Nous avons intégré un système qui permet de créer notre propre hydrogène à bord en désalinisant l’eau, explique-t-il. On l’électrolyse, on le comprime et on stocke le gaz dans huit réservoirs situés sur le pont qui emmagasinent 2 mégawatts heure d’énergie. " Ainsi depuis 2017, le navire a parcouru plus de trois fois le tour de la Terre, visitant 40 pays à travers 75 escales dans le but d’explorer de nouvelles solutions et de porter la bonne parole.
Victorien Erussard s’est aussi lancé dans l’entrepreneuriat en créant la start-up EO Dev en 2019. "Notre produit phare est le GEH2, un générateur électro hydrogène, alternative au générateur diesel. Nous en produisons désormais un par jour, en région parisienne, et en exportons vers 25 pays." Et puis il y a le REXH2, système embarqué de 70 kilowatts, permettant une mobilité maritime et fluviale sans émissions de CO2, sans particules fines et sans bruit. Il équipe notamment deux bateaux à foils qui participeront à la Coupe de l’America, présentés à Cannes et a, par ailleurs, été testé pendant six mois sur des navires de Corsica Ferries, de quoi ouvrir un marché intéressant.
"Derniers de la classe"
"Nous avons aussi travaillé avec la ciotadenne Hynova qui a développé un bateau à l’hydrogène. Celui-ci fonctionne très bien mais il y a un trou dans la raquette : le réseau d’avitaillement. La France est en train de s’organiser pour les voitures à l’hydrogène, les camions, les avions ou les trains à l’hydrogène mais dans le maritime, j’ai peur que nous soyons les derniers de la classe. Nous savons faire les bateaux, mais il faut des stations, il faut les financer et les autoriser. À Sainte-Maxime, Saint-Tropez, Toulon, Monaco, Nice ou Marseille, il faut commencer par là. Il faut un modèle à présenter. Tous attendent qu’une première ville se lance. Tout le monde attend qu’il se passe quelque chose. Or, il y a urgence à démarrer. Il faut qu’une collectivité, une SEM, une société d’économie mixte, se lance aux côtés d’investisseurs. On parle de 2 ou 3 millions d’euros d’investissement." La Caisse d’Épargne Côte d’Azur se propose ainsi de jouer les entremetteurs avec les collectivités locales.
Au-delà de la plaisance, l’hydrogène devrait devenir un sujet majeur dans le transport maritime. En 2022, l’ensemble de la flotte mondiale comptait plus de 100 000 bateaux, dont la moitié de navires marchands, plus gros consommateurs d’énergie. Désormais Victorien Erussard "rêve de développer un navire de charge en associant les piles à combustibles et l’hydrogène liquéfié." Pour cela, il collabore avec un autre de ses mécènes, le groupe marseillais CMA CGM. Le projet est en phase d’étude.
